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Éducation

Démographie et insécurité croissantes dans le Sahel : trois scénarios d’avenir.

22 juillet 2021
Temps de lecture : 6 minutes

Confronté à une hausse concomitante d’une population très jeune et de l’insécurité, que peut l’État dans le Sahel ? Plusieurs scénarios sont envisageables, qu’il convient d’examiner pour agir au mieux. Nous reprenons ici le point de vue de Mabingué Ngom, Directeur régional du Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP), publié par l’Agence française de développement. Une réflexion salutaire.

Mali, Niger, Tchad, Burkina Faso… L’insécurité fait tache d’huile au Sahel, menaçant de s’étendre aux pays du golfe de Guinée. Le terrorisme a entraîné la formation de milices d’autodéfense communautaires et créé des « friches » sécuritaires dans tout le Sahel.

Dans un contexte de croissance démographique soutenue (3 % par an environ), les jeunes, pris dans un chômage structurel, sont des recrues faciles pour les groupes armés. Le sujet est complexe et mérite d’être compris, au-delà des discours pessimistes répétés à l’envi sur le Sahel, et qui ne reposent pas sur des données précises. Il y va de l’avenir des régions voisines, le Maghreb comme le sud de l’Europe et le pourtour méditerranéen.

La population va doubler d’ici 2040 au Mali, passant de 21,5 à 40 millions d’habitants, et de 23 à 55 millions au Niger. La jeunesse représentera les trois quarts de la population dans le Sahel et fera pression sur une demande sociale exponentielle. La moitié de la population a déjà moins de 15 ans et le tiers des enfants n’est pas scolarisé. Ils sont les adultes de 2040. Les dépenses de sécurité atteignent 30 %, 25 % et 18 % des budgets du Tchad, du Mali et du Niger, empiétant sur le financement de l’éducation et de la santé. Et ce, alors que le chômage des jeunes au Niger est passé de 13 % en 2011 à 17 % en 2014.

L’UNFPA a exploré sous toutes ses facettes la relation précise entre démographie, paix et sécurité avec ses partenaires, le Peace Research Institute of Oslo (PRIO) et l’École nationale de la statistique et de l’analyse économique (ENSAE) de Dakar. Un ouvrage en est a été tiré, intitulé Démographie paix et sécurité. Regards croisés pour un Sahel central résilient (L’Harmattan Sénégal). Il détaille les trois scénarios d’avenir possibles, dans une analyse prospective menée par le sociologue sénégalais Alioune Sall, directeur de l’Institut des futurs africains.

Le scénario du statu quo pour le Sahel

Dans le premier scénario, dit « tendanciel », les États n’arrivent pas à sortir des tendances actuelles. À un horizon de vingt à trente ans, la capacité de pilotage et de gestion de l’État ne change pas véritablement par rapport aux indépendances acquises dans les années 1960. Elle est marquée dans la plupart des pays par des chevauchements et des conflits de compétences entre diverses administrations qui ont en commun d’être faiblement dotées pour s’acquitter de leurs missions.

L’État continue à interférer là où il ne devrait pas et n’intervient pas là où il est attendu. Aux prises avec des attentes divergentes et parfois contradictoires de plusieurs acteurs, il n’arrive à en satisfaire pleinement aucun.

L’hypothèse de l’adaptation, ou le scénario du mieux

Dans le deuxième scénario, où prévaut l’adaptation, l’État et la population prennent conscience de la situation de crise et réinventent un contrat social. La fécondité baisse, de même que la croissance démographique, qui passe de 3,3 % en 2020 en moyenne à 2 % à la fin des années 2040, mais la population continue de croître. Les pays du G5 Sahel passent de 86 à 181 millions d’habitants entre 2020 et 2050. Si les investissements adéquats sont faits dans la diversification des économies et le capital humain, il n’est pas impossible de voir le Niger, le Tchad, le Burkina Faso et le Mali se hisser au rang de pays à revenu intermédiaire inférieur (entre 1 036 et 4 045 dollars par habitant).

Dans ce scénario, l’hypothèse centrale est que l’État et la société, comprise ici comme ensemble des acteurs non étatiques, se réinventent et développent un nouveau contrat, fondé sur un partenariat gagnant-gagnant.

L’État boiteux, scénario catastrophe

Le troisième scénario anticipe, en revanche, une aggravation : l’État reste inactif, laissant la place à de nouveaux acteurs non étatiques. Dans ce scénario de baisse modeste de la fécondité, l’État reste lourd et sourd. Il est lourd parce que mal dimensionné : il est demeuré « trop petit pour les grandes choses et trop grand pour les petites choses », comme le signalaient déjà les avocats de la décentralisation et de la modernisation. Il est sourd parce qu’otage de plusieurs groupes d’intérêt et réfractaire aux réformes qui l’auraient fait passer d’État rentier ou prédateur à État stratège.

Dans cette hypothèse, les tendances négatives déjà à l’œuvre aujourd’hui vont en s’amplifiant, qu’il s’agisse de la pression démographique, des violences communautaires, de l’émigration, des inégalités, de la détérioration des services publics et des violations des droits de l’homme.

Le radicalisme et les brigades d’autodéfense ont alors de beaux jours devant eux, tandis que la corruption continue de gangrener les armées régulières. « Dans cette armée, les promotions s’achètent aussi et le moral de ceux qui n’ont ni argent ni parrain s’en trouve durablement affecté, nous dit l’étude de l’UNFPA. Il s’ensuit une fragilisation de l’État. Celui-ci a d’autant plus de mal à assurer sa principale fonction régalienne de protection des frontières, des personnes et des biens qu’il dépend, en partie, surtout dans les situations de crise, de forces de sécurité étrangères. »

Le rôle capital des politiques publiques

Comme toujours avec les analyses prospectives, des éléments de vérité se retrouvent dans tous les scénarios. Il est possible d’inverser ces tendances par le biais de politiques publiques. Cela suppose de définir une vision partagée entre les sphères publiques, privées, la société civile et les partenaires du développement, et d’obtenir une synergie sur la base d’un partenariat – sans que tout ne repose forcément sur des actions militaires.

Si rien n’est fait pour répondre aux enjeux démographiques, une catastrophe se profile en Afrique et en Europe. Comme aucun acteur ne pourra résoudre ce problème tout seul, la création d’un large front de partenaires est la seule façon d’aller de l’avant. Au Sahel, qui fut longtemps paisible, il n’existe pas plus qu’ailleurs de fatalité historique.

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